La visite des députés français en Crimée crée un nouveau schisme

La délégation française au musée du Panorama de Sébastopol, en Crimée.

La délégation française au musée du Panorama de Sébastopol, en Crimée.

RIA Novosti
Une délégation parlementaire française a séjourné en Russie du 22 au 27 juillet. Les politiques français se sont rendus notamment en Crimée. La nouvelle a suscité un grand retentissement dans les médias tant russes que français.

« Initiative privée » à fort contexte politique

Lorsque, fin juin, Thierry Mariani, député Les Républicains des Français de l’étranger, a eu l’idée d’organiser la visite de députés et d’un sénateur en Russie, y compris en Crimée, il n’imaginait sans doute pas que les principaux journaux et chaînes TV russes et français focaliseraient leur attention sur ce voyage, surtout en cette saison de vacances parlementaires.

« On ne parle ni au nom du gouvernement, ni au nom de l’Assemblée nationale. L’actuelle visite relève de notre propre initiative », a déclaré Thierry Mariani à plusieurs reprises aux journalistes avant et pendant cette visite.

Au sein d’une délégation composée d’un sénateur et de dix députés à l’Assemblée nationale représentant principalement l’opposition de droite, Thierry Mariani est arrivé en Russie afin de contribuer au dialogue politique et interparlementaire entre la France et la Russie interrompu l’année dernière. Autre objectif annoncé : voir de ses propres yeux les réalités politiques intérieures en République de Crimée et rencontrer des parlementaires criméens et des représentants de l’opinion et des minorités ethniques.

C’est ce dernier objectif qui a été très positivement accueilli dans les milieux officiels russes : la visite a été qualifiée de « démarche courageuse » par Sergueï Narychkine, le président de la Douma (chambre basse du parlement russe), et de « percée » par Leonid Sloutski, le président de la commission de la Douma pour les affaires de la CEI.

Le Quai d’Orsay  a fait savoir dès le début qu’il n’était pas favorable à cette visite, tandis que le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, a interdit à la délégation française d’utiliser les moyens de l’Assemblée et « de s’exprimer en son nom ».

Barrière criméenne

En fait, il n’y a rien d’étonnant à ce que cette visite privée de députés, issus pour la plupart le principal parti d’opposition Les Républicains (issu de l’UMP), ait suscité un tel retentissement de part et d’autre. Sur l’échiquier diplomatique, la France essaie de jouer un rôle constructif dans le conflit russo-ukrainien. Preuve en est la position du président français François Hollande aux négociations de Minsk. Paris ne souhaite pas de nouvelle confrontation en Europe orientale.

Dans le même temps, l’actuel gouvernement socialiste français occupe une position assez claire sur le « dossier criméen ». En commun avec ses alliés au sein de l’Otan et de l’Union européenne, Paris ne reconnaît pas la légitimité internationale de l’intégration de la Crimée à la Russie.

Selon la position officielle de la France, la République autonome de Crimée est « illégalement occupée par la Russie » et dans ce contexte, même une visite non officielle de parlementaires d’opposition a soulevé un tollé dans les milieux politiques français.

Bruno Le Roux, le président du groupe PS à l'Assemblée nationale, a déclaré à ce sujet : « La visite des parlementaires français en Crimée est une honte. » 

Mais la Russie peut interpréter ce voyage comme un succès local en politique étrangère. Pour Moscou, peu importe que Thierry Mariani et ses collègues aient rencontré des représentants de la communauté des Tatars de Crimée, aient admiré la beauté des paysages criméens ou se soient rendus au cimetière militaire français de Sébastopol. L’essentiel, c’est qu’une percée du « siège de la Crimée » a eu lieu.

Droite française : un nouvel atout pour Moscou

La visite des parlementaires français aura sans aucun doute ses conséquences politiques. Jusqu’ici, le principal parti français qui déclarait régulièrement son soutien à certaines actions du Kremlin dans la politique intérieure ou étrangère était le Front national (FN). Aujourd’hui vient le tour des Républicains, parti qui dispose du plus grand groupe parlementaire d’opposition et fortement enraciné dans les départements.

D’une part, Les Républicains participent aux activités du Parti populaire européen (PPE) regroupant des partis de centre-droit et qui, à l’échelle de l’UE, est actuellement l’un des partis politiques européens les moins amicaux envers le Kremlin. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes et délégué du PPE, a déclaré auparavant : « L'annexion de la Crimée s'est faite de manière contraire à toutes les normes et règles internationales ». 

D’autre part, l’attitude des Républicains français envers la Russie semble très pragmatique. L’affirmation de la délégation de Thierry Mariani sur la nécessité d’accepter les réalités et de reconnaître juridiquement l’appartenance de la République de Crimée à la Russie ne semble pas « radicale » pour la droite parlementaire française.

D’ailleurs, le leader du parti et ex-président Nicolas Sarkozy a déclaré en public au début de 2015 : « Si le Kosovo a eu le droit d'être indépendant de la Serbie, je ne vois pas comment on pourrait dire avec le même raisonnement que la Crimée n'a pas le droit de quitter l'Ukraine pour rejoindre la Russie ». En outre, il estime que « la séparation entre l'Europe et la Russie est un drame ».

Ainsi, la vision particulière du centre-droit français se distingue de la stratégie pro-ukrainienne dominante de ses compagnons de route européens. Et la visite informelle de parlementaires de droite français ne fait que confirmer cette particularité.

Dès lors, faut-il s’étonner que Moscou voie d’un bon œil et couvre largement la visite des Français ?

Car cette fois-ci il s’agit d’une force politique d’Europe sérieuse – à la différence de la présidente du FN, Marine Le Pen – et les autorités russes ne risquent pas d’être accusées d’alliance avec des milieux anti-européens hors-système.

Il semble que la tactique visant à attirer des politiques européens en Russie et notamment en Crimée porte ses fruits. En outre, les médias russes annoncent d’ores et déjà pour l’automne prochain la visite d’une délégation de députés du Parlement européen, qui eux aussi pourraient éventuellement se rendre en Crimée.

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